RCC 2010

RCC 2010

  Tunis du 1er au 8 mai 2010  

Pour sa neuvième édition les Rencontres Chorégraphiques de Carthage donnent à rire et c’est un véritable pari car l’entreprise, pour des raisons complexes qui relèvent de l’histoire autant que de la théorie, est difficile. L’art chorégraphique n’est pas forcément celui qui encourage le plus les formes comiques alors même que la pratique sociale des danses est souvent synonyme de réjouissances.
Vieux souvenir d’études : Bergson écrivait que le comique c’est du « mécanique plaqué sur du vivant », jolie formule qui fonctionne admirablement pour le cinéma par exemple. Mais qu’en est-il en la danse, sur cet art qui représente « la mobilité de la vie » pour toujours citer Bergson ? Plutôt que d’engager une profonde réflexion pour éclairer ce paradoxe, nous avons préféré proposer notre petite anthologie contemporaine du rire chorégraphique. C’est un extrait ou un premier exemple, cela ne prétend à aucune généralisation d’autant que ce qui fait rire les uns ne fera qu’à peine pouffer les autres… 

On sait à quel point un rire est culturel et surtout personnel. Et les chorégraphes sont sur ce plan de drôles de zèbres qui aiment surtout à se moquer d’eux-mêmes, de la danse et de ses grandes figures. Il est troublant de constater dans notre petit échantillon –qui n’a aucune prétention à une quelconque exhaustivité- à quel point les chorégraphes, quand ils font rire, le font d’eux et de ce qui les touche. Concrètement, cela explique qu’il y a beaucoup de solos très drôles, rarement de grandes formes. Ainsi Andréa Sitter et ses drolatiques autobiographies, Foofwa et ses irrévérences à ses maîtres, ou Agnès Pelletier qui prend la question de la reconversion pour une vaste plaisanterie. Lorsqu’ils mettent du monde sur le plateau, souvent les chorégraphes rient du monde et de l’homme, de ses peurs comme Guilherme Botelho ou de ses petites bagarres comme avec Denis Plassard. Cela reste néanmoins pétri d’autodérision et voire d’un peu de nostalgie. C’est aussi railleur et attendri et l’on pourrait mettre dans cette catégorie autant Thomas Lebrun que d’autres et peut-être un peu tous.
Car tous ceux qui sont venus à Tunis pour cette édition  partagent cette particularité de faire rire non pas à nos dépens mais avec nous. Contrairement à d’autres formes, la danse ne prend pas de bouc émissaire et c’est d’elle-même, des danseurs et des humains en général qu’elle rie. C’est-à-dire que le comique chorégraphique est toujours collectif, au sens le plus large. Il inclut parce qu’il n’est pas possible de mettre à l’écart en danse. Par certains côtés cette caractéristique est un handicap –il est très difficile de procéder avec la danse au jeu théâtral du « on dirait qu’on est… » qui fait la magie des jeux d’enfants et du théâtre- et c’est l’une des raisons théoriques de l’étroitesse du choix d’œuvres drôles et dansées. Mais ce sourire qui inclut, cette façon de regarder nos travers d’humains en y prenant sa part, rend aussi ce rire plus général. Il n’est pas question de dire que la danse a trouvé la martingale du rire universel, mais il y a cependant plus de facilité à sourire ensemble.
Il nous manque cependant des artistes et des éclats de rire que nous aurons voulu vous présenter, mais les temps sont difficiles. Ils sont même volcaniques. La préparation finale de cette édition a été largement troublée par une plaisanterie volcanologique au nom imprononçable : Eyjafjöll. La tournée des uns et les obligations des autres ont tellement été chamboulées durant ces quelques dernières semaines que nous avons du en rabattre sur nos ambitions. D’autant que la période n’étant économiquement guère favorable, nous étions déjà dans une situation un peu compliquée.
Par ailleurs, parce que de Tunis nous avons quelques obligations, en plus de cet accent humoristique, nous avons souhaité présenter les créations de deux artistes tunisiens. S’ils sont connus et pas nécessairement dans une veine comique, il était impossible qu’ils ne soient pas présents. Et nous avons un invité spécial en la personne de Walid Aouni et sa  Compagnie Egyptienne de Ballet-théâtre qui avec son Virgin Butterfly Story nous invite à partager ce que produit l’Opéra du Caire.

 Enfin et cela contribue à façonner la physionomie particulière de cette édition, l’année 2009 a été particulièrement triste pour la danse. En un mois, les deux chorégraphes qui représentaient les deux pôles opposés autant que complémentaires de l’art chorégraphique, sont partis. Pina Bausch, le 30 juin, Merce Cunningham le 26 juillet. La danse s’est réveillée orpheline. Il y quelques hommages qui se sont glissés plus ou moins discrètement dans cette programmation drôle. Et sans doute cette petite ombre, parce qu’elle est justement teintée de cette autodérision qui fait le charme de l’humour dansé, ne pèsera pas trop. Comme un petit nuage qui, cette fois, n’empêchera aucun avion.

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